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CHOPIN, l'homme, sa vie, son oeuvre

Sylvie OUSSENKO

Préface : Dominique FANAL

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.../... Que personne mieux que Schumann n'avait su orchestrer ses Symphonies (d'où l'échec cuisant des réorchestrations de Mahler appli­quées à une musique aux antipodes de la sienne!). Q ue Tchaïkovski était un très grand compositeur et le chantre de l'âme russe, que les maladresses de Sibelius n'en étaient pas toujours et que ce grand bûcheron finlandais était un compositeur génial et prophétique, qui apportait à la composition et la structure symphoniques modernes un concept autre.

De la même façon, Chopin, s'il n'apparaît pas de prime abord comme un virtuose de l'orchestration, et s'il n'est pas l'auteur d'ébouriffantes instrumentations (qui eussent probablement nui à son propos), a su trouver la parure orchestrale (parure n'est d'ailleurs pas forcément le bon mot) qui convient le mieux à sa musique. Comme le langage des Symphonies de Schumann réclame cette instrumentation compacte qui est la sienne, ramassée dans un « medium » un peu sourd et automnal, que l'on a à tort décriée (et l'on a vu comment les orchestrations, plus brillantes mais plus extérieures et plus décoratives, plus scholastiques aussi, d'un G ustav Mahler ou d'un Félix Weingartner avaient, encore une fois, défiguré l'univers schumannien qu'elles prétendaient servir, préci­ser et sublimer), la musique même de Chopin (lorsque le piano est accompagné, soutenu, commenté par un orchestre symphonique) ne mérite pas autre chose que ce dont Chopin l'a dotée. Hormis les tutti introductifs, concl usifs ou transitoires, ce sont des accords larges et tranquilles, souvent immobiles, parfois volontairement réduits à leur portion congrue lorsque le piano doit parler librement, qu'il se veut indépendant et qu'il se suffit à lui-même. Mais cette orchestration, si elle est convenue, simple, suffit à faire sonner l'orchestre. Combien de fois a-t-on entendu des pianos rachitiques (qui donnent l'impression qu'on en a baissé les couvercles) égrainer des notes fluettes et cristalli­nes sur un orchestre auquel un chef « peu gourmand de l'oreille » (pour reprendre l'expression si juste de la pianiste française France Clidat) demande de jouer toujours plus piano et plus passif? L'orchestre de Chopin, bien au contraire, doit jouer le jeu... comme le piano. Jamais une musique n'a été si humaine, si narrative, jamais des interprètes n'ont semblé devoir raconter à ce point-là une histoire. L'orchestre de Chopin, s'il doit être cet énorme matelas - ou ce moelleux coussin d'air - sur lequel un pianiste avide de son et de sens peut s'ébrouer et s'appuyer (ne serait-ce qu'harmoniquement), ne doit pas être non plus que cela : appui, soubassement, clé de voûte parfois de l'ouvrage, il en scelle la structure et la base harmonique, en complétant le piano (déjà si riche, si protéiforme, si symphonique et si parlant) de ses timbres,

souvent utilisés pour leurs couleurs les plus crues, les plus franches, les plus primaires, et - malgré le profond romantisme du langage - leurs contours les plus fermes, les plus nets, les plus précisément dessinés. J'eus la chance, je dois le dire, de diriger les deux Concertos de Chopin avec des monstres sacrés du piano ! Dès 1988 (j'avais trente-deux ans), c'est avec France Clidat (lisztienne reconnue, grande virtuose, musi­cienne experte, femme intelligente et de grande culture) que j'eus le bonheur de diriger le Deuxième Concerto (le premier en fait, en fa mineur ) de Chopin, à Paris, au Mans (et, au début des années 2000 à nouveau, avec une philharmonie polonaise, au théâtre de Vals-les-Bains, dans le cadre d'un festival d'été ardéchois). En 1990, avec le même orchestre « Sinfonietta de Paris », nous donnions ensemble le Premier Concerto (le redoutable mi mineur), à Paris, dans ce regretté et si bien sonnant Audi­torium du Châtelet-Les Halles, et en banlieue parisienne, à Villiers-le-Bel pour être précis, ville où il se passe parfois de bien grandes choses, et où la musique, elle aussi, peut enflammer le public.

C'était, si mes souvenirs sont exacts, la première fois que France Clidat - vieille routière (elle me pardonnera cette familiarité) du Second concerto - présentait le Premier Concerto en public, d'ailleurs juste avant qu'elle ne parte enregistrer le doublé (mi mineur et fa mineur) à Varsovie, à deux pas de Swieta Krzyza, l'église dont le deuxième pilier, à gauche de la nef, contient l'urne renfermant le cœur du compositeur qui avait pu exprimer, dans ses dernières volontés, son secret désir de retrouver Varsovie après sa mort.

 

 

Plus tard, à Koszalin, en Pologne aussi, je redonnai le « mi mineur » avec l'étonnant Piotr Paleczny (prononcer palètchné !), qui, depuis Rubinstein et Malcuzynski, demeure, avec Zimerman - et sans doute le tout jeune Rafal Blechacz (prononcer bleratch !) - le plus parfait héritier polonais de Chopin. Clidat comme Paleczny m'ont conforté dans cette idée que Chopin n'était pas - ô combien jamais - l'auteur de douces et siru­peuses romances

Et, l'un comme l'autre m'encouragèrent à faire sonner l'orchestre, à lui donner son relief, à multiplier les contrastes dynamiques (tellement bien indiqués par Chopin), des plus ineffables murmures aux effusions les plus passionnées, se servant de ces vagues orchestrales comme un voilier se sert du vent pour avancer et du roulis des vagues pour mieux se mouvoir. J'appris là ce qu'était un grand son de piano, j'appris là toute la différence entre un vrai staccato et un non- legato, je réappris là les cent couleurs de la musique (dont parle Chabrier à propos de sa Bourrée fantasque), je redécouvris (avec France Clidat surtout) ce qu'est un vrai discours narratif (lorsque l'on suit un concerto comme on lirait un conte) et (avec les pianistes polonais notamment) ce qu'est le véritable rubato à la Chopin (ou le rubato tout court) : j'eus tellement de mal, il y a peu de temps encore, à faire comprendre à des étudiants s'acharnant sur le Nocturne en si majeur opus 32 n° 1 que le rubato n'était pas un tangage du tempo permanent à donner le mal de mer à l'auditeur, mais ce sensible rythme interne né d'un décalage léger, indicible (le rythme ne naît-il pas d'ailleurs toujours d'une forme de décalage, donc de retard ?) entre une main droite narrative, plus ou moins libérée, et une main gauche qui, en toute quiétude et sans nervo­sité, doit imposer le « diktat » du tempo...

Eh oui, on croit tout savoir de Chopin et de ses mystères... mais certains mystères demeurent bien conservés !

Ces écrits de Sylvie Oussenko sur Frédéric Chopin - l'homme, sa vie, son oeuvre -, après les mille exégèses nées de la plume et de l'expérience de ses plus grands interprètes ou de critiques et musicologues, est un magnifique ouvrage de synthèse (pour qui connaît la musique de Chopin tout en en ayant une vision assez floue) et, en même temps, un ouvrage pédagogique susceptible de s'adresser à ceux qui, pleins de bonne volonté, attirés par les charmes d'une certaine note bleue, feraient leurs premiers pas vers la connaissance de la musique dite (souvent à tort) « classique », et du piano-roi.

Sylvie Oussenko « remet les pendules à l'heure », tend à séparer le bon grain de l'ivraie (entendez par là la seule vérité sur mille et une légendes tenaces), redéfinit bien l'importance de Chopin dans son temps, le situe dans son contexte, l'Histoire (l'Histoire avec un grand H, celle de la France d'alors et de cette Pologne-phénix sans cesse détruite et rayée de la carte, mais qui, démembrée, dénervée, dépulpée et toujours plus affaiblie, renaît chaque fois - avec la régularité du nécessaire - de ses cendres), le situe aussi au milieu de ses contemporains - les autres génies de la grande ère romantique notamment, et il y en eut! -, reliant sans cesse ses œuvres les plus marquantes aux événements les plus importants (même les plus intimes) de sa vie tourmentée, met en valeur tel ou tel éclairage historique donnant une vision nouvelle de tel ou tel ouvrage, et osant redéfinir - sans honte - ce que sont une harmo­nie, une mélodie, un mode, une tonalité, un rondo, un scherzo, une mazurka... Elle situe enfin Chopin avec ceux qu'il a aimés, admirés, ceux qui l'ont influencé, ceux qu'il a transcrits ou paraphrasés, comme Liszt aussi le fit : Haendel, Mozart, Rossini ou Donizetti...

Sylvie Oussenko, qui - à la différence de ceux qui écrivent sur la Musi­que sans la connaître - sait (interprète elle-même) la lire, et possède les moyens intellectuels et techniques de déchiffrer une partition, va parfois au cœur des œuvres. Elle les replace dans leur contexte aussi, les éclaire d'un jour nouveau, en décrit la structure, le contenu, en décrypte la substantifique moelle...

Un bel ouvrage, en vérité, qui relève parfois de l'art de la dentellière, et qui (en suivant tout le parcours de Chopin, de ses découvertes, de ses émois, de ses amours, de ses tragédies - de la jolie maison de Zelazowa Wola à l'appartement funèbre du 12, place Vendôme) se veut didactique et éclairant, résumé et synthèse, mise au point et, parfois, rectification argumentée... et qui, enfin, se lit et se relit facilement, tel un Guide Michelin des hauts lieux de cette Vie et de cet Œuvre incroyablement romantiques, tourmentés, passionnés, follement passionnels, forcé­ment passionnants...

Dominique Fanal, chef d'orchestre

 

 

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Chopin, l'homme, sa vie, son oeuvre

La mezzo-soprano Sylvie Oussenko et le chef d'orchestre manceau Dominique Fanal nous offrent un beau cadeau de fin d'année pour 10 € seulement !

Une vulgarisation intelligente de Chopin qui passionnera à la fois les inconditionnels du pianiste compo­siteur et ceux.qui ne le connaissent qu'à travers ses valses ou sa liaison avec George Sand.

En musicien averti, Dominique Fanal, tord le cou aux idées reçues, aux images d'Épinal, « aux niaiseries dites sur Chopin, comme sur Schubert ou Beethoven ! »

Et il s'appuie sur son expérience de pianiste-ôhef d'orchestre pour nous introduire dans la richesse de sa musique.

Sylvie Oussenko retrace le par­cours intime et musical de Chopin en le restituant dans son contexte. La plume est claire et précise. Elle progresse chronologiquement en intercalant judicieusement cita­tions, références historiques et mu­sicales, glossaire .jusqu'au cahier de correspondance entre Chopin et George Sand.

Un CD d'une heure de musique accompagne le livre.

Pratique. Chopin, Sylvie Oussen­ko et Dominique Fanal, éditions Eyrolles -10 €.

 

J.R. (Ouest-France)


Directeur de la publication : A.D.O.R.A.M.U.S - Septembre 2012 -